Sophie Massieu
Publié le 23 - 02 - 2022
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La question environnementale et de la biodiversité constitue désormais une préoccupation de premier plan pour les syndicats, en écho à celles de la société dans son ensemble. Voilà ce dont s’est réjoui François Hommeril, en introduisant les débats de la table ronde, « Entreprises et biodiversité », organisée par la CFE-CGC le 22 février 2022 dans le cadre de son cycle de conférences « Restaurer la confiance »
de gauche à droite : Sylvain Boucherand (PDG de BL Evolution et ex Président de la Plateforme RSE de France Stratégie), Pierre Dubreuil (Directeur général de l’Office Français de la Biodiversité), Mathilde Despax (Présidente du GATE 17), Bernard Chevassus-au-Louis (Biologiste, ancien Directeur de l'INRA et du Musée national d'histoire naturelle et président de l'association Humanité et Biodiversité), Madeleine Gilbert (Secrétaire nationale CFE-CGC en charge du développement durable et de la RSE) et Antoine Cadi (Directeur Recherche et Innovation - CDC Biodiversité)
Aux yeux du président de la CFE-CGC, la prise en compte de la biodiversité va « faire progresser » la CFE-CGC et lui permettre d’attirer davantage de militants. D’autant que, comme l’a souligné Mathilde Despax, présidente de GATE 17, cabinet spécialisé dans les relations collectives de travail et la transition environnementale, et animatrice de la rencontre, la loi Climat et Résilience d’août 2021 permet aux représentants du personnel de s’emparer des problématiques vertes et de questionner les conséquences environnementales de l’activité de leurs entreprises. Elle a par ailleurs souligné le « volontarisme » dont fait preuve la CFE-CGC, reconnue partenaire engagé pour la nature par l’Office français pour la biodiversité, adhérente à nombre d’institutions de concertation sur le sujet comme le Global compact ou le Comité 21 et également membre de la Plateforme RSE, entité installée par le Premier ministre au sein de France Stratégie en 2013.
Rien d’étonnant donc à ce que la CFE-CGC réunisse des experts pour évoquer la question de la biodiversité. Un terme qu’ils ont commencé par définir. Le biologiste et président de l’association Humanité et biodiversité Bernard Chevassus-au-Louis a souligné que la biodiversité témoignait d’un « infini des possibles », que nous ne connaissons que très partiellement. Mais « on en sait assez pour agir, et agir efficacement », tout en développant notre niveau de connaissance. Pierre Dubreuil, directeur général de l’Office français de la biodiversité, a confirmé cette « complexité » de la biodiversité et a aussi souligné le « basculement du vivant », une érosion de cette richesse. « Le changement de modèle n’est pas une option. Notre modèle est prédateur de ressources naturelles et ces ressources sont en cours d’épuisement. Une conversion est nécessaire pour que le vivant soit au coeur des choix.»
Or, a fait remarquer Antoine Cadi, directeur recherche et innovation de CDC Biodiversité, « 55 % du PIB mondial repose sur les services gratuits rendus par la nature ». Ce qui invite fortement les entreprises à prendre cette biodiversité en considération dans leur chaîne de valeurs. BL Evolution, cabinet dirigé par Sylvain Boucherand, peut les y aider. Selon lui, au-delà des concepts, il convient de conserver à l’esprit que « la biodiversité se manifeste dans notre vie quotidienne, au travers de ce que nous mangeons, des vêtements que nous portons et, pour les entreprises, des matières premières qu’elles utilisent ».
L’ÉVOLUTION DES MODÈLES ÉCONOMIQUES, UNE URGENCE
Le terme de biodiversité ainsi défini, les experts se sont accordés à reconnaître l’urgence de faire évoluer les paradigmes économiques. L’épuisement des ressources naturelles l’impose. « 42 % des actifs financiers sont menacés d’extinction si la biodiversité se dégrade », a indiqué Pierre Dubreuil. Mais outre l’évitement d’un risque, les entreprises peuvent, dans la prise en compte de la biodiversité, selon lui, « trouver une opportunité de développement et de progrès ». Ainsi, un euro investi dans la biodiversité crée-t-il 1,30 euro de valeur ajoutée ou encore 19 emplois. Il s’agit donc d’un « investissement productif ».
Concrètement, il convient de cesser de subventionner des activités néfastes pour la biodiversité. La préservation de celle-ci autant que sa restauration doivent mobiliser un ensemble d’acteurs, publics mais aussi privés, les entreprises devant embarquer dans cette évolution tout leur écosystème, clients et fournisseurs. « Un enjeu important tient en effet au traçage des filières d’approvisionnement », a rappelé Sylvain Boucherand, qui a aussi invité à « une forme de sobriété, propre à nous conduire à repenser notre modèle social et économique ». Ce bouleversement sera, selon lui, à terme, « créateur d’emplois ».
LA BIODIVERSITÉ, UN LEVIER DE DÉVELOPPEMENT
Devant le manque de maturité des stratégies d’entreprise sur ce thème, selon Sylvain Boucherand, « les instances représentatives des salariés doivent sensibiliser leurs adhérents à ces enjeux. Ainsi seront-elles force de proposition dans le dialogue social. » Les entreprises pourraient se montrer réceptives, notamment parce que le fait d’écarter le sujet « comporte pour elles un risque en termes d’image », a pointé Bernard Chevassus-au-Louis, en s’appuyant sur l’exemple du secteur du luxe qui a fait des efforts notables pour s’assurer de la « durabilité » de son approvisionnement en cuir, par exemple. Mais « le niveau de conscience des entreprises est encore variable », a regretté Pierre Dubreuil, pour qui la prise en compte de la biodiversité ne saurait se réduire à l’installation d’un toit végétalisé ou de ruches. En réalité, les entreprises doivent, dans leur politique de recherche et développement, « considérer la biodiversité comme un levier de développement ».
NAISSANCE D’UN OUTIL COMMUN DE MESURE
Les experts ont regretté que les notations extra financières des gestions d’actifs accordent encore peu de place à cet enjeu. Malgré tout, premier pas, un outil commun de mesure, le Global Biodiversity Score, a vu le jour, sur le modèle du bilan carbone. Il mesure le niveau de dégradation moyen au kilomètre carré généré par une entreprise. 22 multinationales s’en sont emparées. « De quoi leur permettre d’entrevoir leur niveau de risque et de dépendance, mais aussi de responsabilité, a estimé Antoine Cadi. Les investisseurs, dans leur interaction avec les entreprises, joueront un rôle important », espère-t-il aussi.
De même que les partenaires sociaux, Sylvain Boucherand a invité les organisations syndicales à scruter les rapports RSE de leurs entreprises, à surveiller les indicateurs de leur démarche biodiversité et encore à mobiliser les administrateurs salariés pour qu'ils forment les actionnaires salariés. « Vous avez un grand pouvoir, utilisez-le ! », les a-t-il interpellées. L’action des partenaires sociaux, selon Pierre Dubreuil, se verrait utilement appuyée par une « pression citoyenne, la même que celle qui peut s’exercer lorsqu’il s’agit de faire respecter l’interdiction d’utiliser des sacs plastique ». Secrétaire nationale en charge du développement durable à la Confédération, Madeleine Gilbert a conclu en soulignant la nécessité d’agir, de comprendre et de diffuser la culture de la biodiversité. « La CFE-CGC y contribuera en produisant un certain nombre d’outils à la disposition de tous, à l’image d’un répertoire de la biodiversité, et en assurant des formations à destination de ses représentants. »
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